Dernière mise à jour : lundi 8 janvier 2006

L’épée de Damoclès menace toujours les journalistes algériens

Grâce présidentielle ou pas, la presse algérienne n’est toujours pas en odeur de sainteté. En décembre, deux journalistes ont été arrêtés et incarcérés, avant d’être remis en liberté. Mohamed Benchicou, qui a témoigné mardi 9 janvier au Club de la presse, a dénoncé un « régime oppressif ». A Lille, son portrait flotte toujours sur la façade du Club. Pour rappeler le harcèlement contre les journalistes et les atteintes à la liberté de la presse, partout dans le monde, et contre lesquelles il se bat.

Photos : Gérard Rouy

« Ne soyons pas trop sévères avec la presse algérienne. Elle sort de trois années d’une terrible guerre. Son mérite est d’avoir survécu. » Tel est en substance l’un des messages que délivre Mohamed Benchicou, le directeur du quotidien Le Matin, depuis qu’il est sorti de prison et, plus encore, depuis qu’il peut à nouveau circuler hors d’Algérie. En décembre, deux nouvelles arrestations, suivies toutes les deux d’une incarcération, ont encore frappé la presse de ce pays. La première a eu lieu le 7 décembre et concerne la directrice de la publication du quotidien El Fedjr. Hadda Hazzam a été interpellée à l’aéroport international Houari Boumediène, à Alger, alors qu’elle se rendait à Beyrouth pour assister à une conférence sur les médias arabes. C’est au moment de son arrestation qu’elle a appris qu’elle avait été jugée par défaut après une plainte déposée par l’imprimerie publique SIE (Société d’Impression de l’Est). D’après les collaborateurs de la journaliste, celle-ci avait signé un chèque d’un montant de 1,5 million de dinars (1.635 euros) pour cette société. Ce chèque n’avait pas été honoré. Hadda Hazzam proteste de sa bonne foi et explique avoir signé en toute confiance ce chèque qui lui aurait été présenté par un « comptable indélicat ».

Quid de la grâce présidentielle ?

Une procédure a été mise en œuvre après la plainte de la SIE. Mais le parquet aurait envoyé sa convocation à une mauvaise adresse. Si le chèque a été payé depuis, l’action en justice n’a pas été éteinte. Mme Hazzam a été remise en liberté après deux semaines passées sous les verrous.
Le 18 décembre, c’est une affaire d’un autre ordre qui concerne, cette fois, un journaliste d’un quotidien arabophone, El Djazaïr News. Salah Mokhtari a été interpellé à Médéa (70 km au sud-ouest d’Alger), tard dans la nuit. C’est à cette occasion qu’il a appris qu’il faisait l’objet de quatre mandats d’arrêt depuis 2004 et 2005. Il est vraisemblablement poursuivi pour diffamation après des articles publiés à cette époque, dans un autre journal. Il y traitait d’affaires de corruption. Là encore, il affirme n’avoir jamais reçu de convocation au tribunal.

Le journaliste a été remis en liberté en ce début d’année. Le Syndicat national des journalistes (le SNJ algérien), dénonce un « délit de presse » et estime que cette affaire réduit la grâce présidentielle de juillet 2006 à « une annonce de conjoncture sans le moindre effet.  » A moins que l’arrestation n’ait été motivée par une autre raison (non expliquée), on peut en effet s’interroger sur ce qui aurait privé Salah Mokhtari des dispositions de cette grâce.

Au lendemain de ces deux arrestations, Mohamed Benchicou enfonçait le clou dans la chronique qu’il publie chaque jeudi dans Le Soir d’Algérie : « Deux autres journalistes algériens, Hadda Hazem et Salah Mokhtari, viennent donc d’être jetés en prison cette semaine, s’ajoutant, comme des proies ordinaires, aux sept qui ont déjà connu les geôles depuis 2004. Le rite du sacrifice continue, comme pour rappeler que sur cette terre asservie à toutes sortes de bourreaux, la plume est une malédiction réservée aux âmes pécheresses. »

Un repas et un bon d’essence : le prix d’un journaliste

Dans un contexte aussi difficile, on ne pourra cependant s’empêcher de sourire à la lecture de cette nouvelle, parue dans le quotidien El Watan, le 19 décembre dernier. Lors d’un meeting tenu la veille à Mostaganem, rapporte notre confrère, l’ancien chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, a demandé aux élus de son parti, le RND, « de se rapprocher des journalistes et hommes de presse afin d’entretenir de bonnes relations. Jusque-là, poursuit El Watan, rien de bien nouveau dans les piémonts du Dahra. Mais il assortira son invite d’une recommandation bien particulière, voire totalement inattendue. En effet, pour avoir les bonnes grâces de la presse, le secrétaire général du RND invitera les responsables à offrir aux journalistes du coin, ceux dont ils souhaitent, voire doivent s’attirer les bonnes grâces, un bon d’essence ou un repas. » Soulignant que M Ouyahia a suggéré de proposer ces « cadeaux » une fois par mois, El Watan ironise : « C’est un rythme qui est tout à fait supportable pour le corrupteur et qui permet au corrompu de s’acquitter de sa tâche en contrepartie. »

Philippe ALLIENNE

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