Déluge de poursuites et de condamnations contre les journalistes algériens (mai 2005)

Youssef Rezzoug (condamné à 3 mois de prison ferme) venu s’expliquer devant le club de la presse le 2 mai dernier.

Il y aura un an, le 14 juin, que le directeur du quotidien algérien Le Matin, Mohamed Benchicou, a été condamné à deux ans de prison ferme. Son journal a été suspendu. Malgré son état de santé et les appels à sa libération, il reste en prison. Pire, il a de nouveau été condamné avec, cette fois, quatre autres journalistes du Matin : Abla Cherif (deux mois ferme), Yasmine Ferroucki (trois mois), Youssef Rezzoug (trois mois) et Hassane Zerrroucky (deux mois). Depuis, les procès se succèdent à Alger contre de nombreux journalistes poursuivis pour leurs écrits.

 

Depuis la condamnation à de la prison ferme des quatre journalistes du Matin, et à cinq mois supplémentaires pour Mohamed Benchicou qui était poursuivi en tant que directeur de la publication, les procès pleuvent en cascade. Pour l’heure, il ne sont pas suivis de mandats de dépôt. Les journalistes font systématiquement appel et demeurent libres en attendant.

Peu après ces condamnations, prononcées par le tribunal d’Alger, le présidentalgérien, Abdelaziz Bouteflika, n’a cependant pas manqué de s’exprimer à l’occasion de la journée internationale de la liberté de la presse, le 3 mai dernier. Dans un message adressé aux journalistes algériens, il les a accusé de manquer de professionnalismeetde céder aux manipulations.En même temps, il arenduhommageàuneprofessionqui,durantla décennie 90, a payé un lourd tribut au terrorisme !

Plus récemment, une nouvelle série de condamnations a été requise contre sept autres journalistes. Le 31 mai, le parquet d’Alger a demandé douze mois ferme contre Kamel Amarni et le directeur de la publication du quotidien Le Soir. Ces derniers sont poursuivis pour "offense à magistrat" dans un conflit qui les oppose au président Bouteflika. Une amende de 250.000 dinars chacun est également requise. L’article incriminé a été publié durant la campagne pour l’élection présidentielle du 8 avril 2004. Il évoquait, rapporte El Watan, l’importance des moyens de l’Etat qui avait été mobilisés par le président-candidat.

Le caricaturiste de presse Ali Dilem et l’ex-directeur du quotidien Liberté ont également comparu le 31 mai. Ils sont poursuivis pour un dessin humoristique paru le 29 novembre 2001 qui ironisait sur les généraux. Six mois de prison ferme et 250.000 dinars d’amende ont été requis pour l’un et l’autre.

Salima Tlemçani, journaliste d’investigation au quotidien El Watan, est quant à elle poursuivie en diffamation pour un article publié le 5 juillet 2004. Il portait sur une banque dont le Pdg a été condamné et est emprisonné depuis plusieurs mois. La banque poursuit la journaliste en lui reprochant, par son article, d’avoir fait fuir une partie de la clientèle !

Ancien chroniqueur du Matin, Boubekeur Hamidechi est poursuivi, ainsi que le directeur du journal Mohamed Benchicou (une fois de plus) pour diffamation contre Mohamed Bedjaoui, président du Conseil constitutionnel au moment des faits. Actuellement ministre des Affaires étrangères, celui-ci a retiré sa plainte bien avant le procès. Mais le parquet n’en a cure : il poursuit quand même. Le procès a été reporté au 28 juin

Enfin, le journaliste Sofiane Aït Iflis et le directeur du Soir sont poursuivis par le président du Haut conseil islamique (HCI)pour un article publié le 3 avril dernier.

D’autres affaires sont en cours.

Un "cercle atroce"

Dans son dernier rapport, l’Institut international de la presse (Vienne)dénonce en ces termes les atteintes à la liberté de la presse en Algérie durant l’année 2004 :
"Le cercle atroce des violations d’expression se poursuit, alors que le pays se préparait aux élections présidentielles".<br
L’institut rappelle que les publications étrangères, quand elles dérangent, sont évincées des kiosques. Cela a été le cas pour l’hebdomadaire "Jeune Afrique l’Intelligent" pour son numéro du 8 au 14 février. Un article évoquait le rôle de l’armée dans l’histoire algérienne.
L’IPI évoque d’autre part la campagne religieuse contre la presse algérienne. En février 2004, lors de prêches, des imams avaient accusé les journalistes d’avoir "une attitude hostile envers l’Islam" et de mener la nation musulmane vers la "perte morale".

Hafnaoui Ghoul toujours en liberté provisoire

Condamné à huit mois de prison ferme pour diffamation, outrage à corps constitué et violation des règles régissant les correspondances de et vers les établissements pénitentiaires, Hafnaoui Ghoul bénéficie d’une mise en liberté provisoire dans l’attente du pourvoi qu’il a introduit contre les différents arrêts actuellement examinés par la Cour suprême.

Quelques jours après avoir recouvré sa liberté, il vient d’écrire une lettre, « À vous Monsieur le président », au premier magistrat d’Algérie. Après être revenu sur les circonstances de sa propre incarcération, Hafnaoui Ghoul, journaliste et responsable du bureau régional de la Ligue algérienne des droits de l’homme, souligne que l’engagement de l’Algérie à édifier un État de droit ne saurait « interdire l’expression à M. Benchicou qui a osé à un moment, dire non, alors que des opportunistes qui gravitent autour du cercle présidentiel disent oui à tout-venant le matin et se couchent lâchement insatisfaits la nuit ».

Il ajoute qu’« il ne saurait se réjouir de sa libération alors que l’arbitraire frappe toujours Benchicou et M. Benaoum, directeur du journal arabophone Erraï », un fait qui, selon lui, ne saurait aussi être accepté « au moment où l’on parle d’une éventuelle amnistie générale dans ce contexte de la réconciliation nationale ». « Il faut libérer la plume et l’intelligence de la prison M. le président », lance-t-il encore à l’endroit d’Abdelaziz Bouteflika.

Par ailleurs, nous publions l’intégralité d’un texte « Hafnaoui libre, Benchicou toujours en prison » d’Hassane Zerroucky, journaliste-éditorialiste et ancien rédacteur en chef du Matin, membre du Comité pour la liberté d’expression en Algérie.

Au-delà d’une réflexion à propos de la liberté de la presse en Algérie, il aborde la question de l’établissement d’une véritable démocratie, d’une réelle citoyenneté, dans un État de droit. Lire l’article

 

Les actions précédentes

Avec un texte lu au cours d’un rassemblement, le 27 octobre 2004 à Paris, le Club de la Presse Nord - Pas de Calais, par l’intermédiaire de son président, Philippe Allienne, réaffirme son soutien à Mohamed Benchicou, directeur du journal Le Matin et auteur du livre « Bouteflika : une imposture algérienne » ainsi qu’à Hafnaoui Ghoul, correspondant d’El Djazaïr News et représentant de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme.

 

Le texte de soutien

« La condamnation à de lourdes peines de prison des journalistes Mohamed Benchicou et de Hafnaoui Ghoul est insupportable. Comme est insupportable la disparition du Matin du paysage des quotidiens algériens et les menaces qui pèsent constamment sur la presse et sur les journalistes algériens.

« Le Club de la presse Nord - Pas de Calais a toujours soutenu ses confrères et consœurs algériens. C’est fort logiquement et très normalement qu’il veut aujourd’hui confirmer son soutien à Mohamed Benchicou, Hafnaoui Ghoul et tous les autres, victimes du harcèlement des autorités. Nous voulons notamment le faire en nous tenant informés et en informant autour de nous. Nous sommes signataires de la pétition lancée en France, en Belgique et au Canada.

« En même temps, nous sommes bien conscients, face à une telle entreprise de démolition de la liberté de la presse, de la modestie de notre poids et de notre apport. C’est pourquoi nous saluons votre initiative. Nous savons que le silence, l’oubli et la résignation ne font que renforcer les barreaux des prisons.

« Nous savons aussi qu’en travaillant ensemble, nous avons une chance de nous faire entendre. En tout cas, nous sommes convaincus que, du fond de leurs cellules, d’une façon ou d’une autre, nos confrères percevront notre solidarité et notre volonté de les voir sortir et de les lire à nouveau.

« Les journalistes que nous sommes n’oublient surtout pas le lourd tribut déjà payé par les journalistes algériens pour défendre la liberté d’informer et la liberté d’expression. Soyez certains que nous sommes avec vous et que nous sommes prêts à relayer vos actions et vos initiatives. »

Philippe ALLIENNE
Président du Club de la Presse Nord - Pas de Calais
Membre du « Comité pour la liberté de la presse en Algérie »
Correspondant d’El Watan


 

 

 

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