La mort du journaliste Mohamed Tamalt, en Algérie (Par Mohamed Benchicou)

, par Club de la presse hdf

Condamné en juillet dernier à deux ans d’emprisonnement pour « offense au président de la République », le journaliste algéro-britannique Mohamed Tamalt est mort en prison dimanche 11 décembre, en Algérie. Il avait 42 ans. Plusieurs centaines de personnes ont assisté à son enterrement, le lendemain à Alger. La mort de ce journaliste intervient dans un contexte où la liberté d’expression est plus que jamais mise à mal. Il y a dix ans, le Club de la presse fêtait la libération d’un autre confrère, Mohamed Benchicou, le directeur du « Matin » qui venait de purger une peine de deux ans de prison. Ce dernier, que nous avions soutenu durant sa détention et avec qui nous avons gardé des liens étroits, vient de publier ce texte en hommage à Mohamed Tamalt et au droit de pensée.

Le Club de la presse

A ceux qui ignorent le prix de la liberté de dire,

répondez "Tamalt"

Par Mohamed Benchicou

A ceux qui chercheront où trouver le droit de pensée, dites qu’il a été mis en terre dans un cimetière du côté de Bachdjarah. A ceux qui désespèreront de la liberté, rappelez-leur que depuis le premier verbe égorgé, sur les tombes des poètes assassinés, ont toujours poussé mille plumes endiablées.

Ecris, mon fils, que je n’ai pas pleuré Cette nuit noire où ils m’ont fait prisonnier

Car, vois-tu, je ne pouvais ignorer Qu’au même moment naissait un citronnier.

Ecris, ma belle, qu’à l’instant de tes larmes, Quand tu compris que j’allais te laisser,

Dans un parc d’Alger, malgré les gendarmes, Un jeune nouveau couple allait s’embrasser.

Voilà trois jours que je suis sans voix sur ce crime. Oui, ce crime, car, au risque de fâcher ceux qui, parmi mes confrères, ont trouvé matière à épiloguer sur la mort de Talmat, à analyser les "dessous" de l’affaire, à commenter les explications du directeur de la prison, il n’y avait rien à dire sur la mort de Tamalt, rien d’autre que de désigner les meurtriers. Tamalt n’est pas mort de ne s’être pas alimenté. Tamalt est mort assassiné ! Et les assassins sont au pouvoir ! Ils se cachent derrière Dieu et la patrie, ils se soignent pour ne pas mourir, mais ils oublient que la malédiction n’est pas de mourir ; la malédiction, c’est de survivre à ses propres enfants qu’on vient de tuer.

Mohamed Tamalt n’est pas mort en prison. Tamalt est mort dans l’Algérie soumise à un pouvoir grabataire, asservie à une bande de vieillards assoifés de pouvoir et que terrorise cette chose qu’ils ne contrôlent pas, les réseaux sociaux. Ils ont si longtemps vécu à la tête du pouvoir, qu’ils ont pu à la naissance de leur cauchemar, un monde du numérique où le journalsime n’est plus affaire du journaliste, celui qu’on peut terroriser, acheter ou, au besoin, tuer ; le journalisme, c’est-à-dire le privilège d’informer, de commenter, d’analyser, de contredire, de révéler, est devenu le privilège de chaque homme et de chaque femme de ce monde ! Que pouvez-vous faire, vieux dictateurs et vous qui leur servez d’écuyers chapardeurs, que pouvez-vous contre cette terrible invention de l’homme qui octroie la liberté de penser sans passer par votre harem médiatique, qui vous caricature et qui révèle vos comptes off-shore ?

Que faire contre cette irrésistible progression du savoir et de la démocratisation du savoir ? La corrompre ? La contrôler ou plutôt "l’encadrer" comme le dit si bien votre ministre de la Communication dont on soupçonné les qualités de majordome mais pas le talent de bouffon ?

Rien ! Vous ne pouvez rien contre ce monde où vous n’avez plus de place ! Vous vous croyez vivants, vous êtes déjà morts et chaque jour qui passera vous mourrez un peu plus, et dans une indignité croissante ! Vous êtes le passé, Tamalt était l’avenir ! Vous croyez avoir tué le futur, vous n’avez qu’inscrit votre nom parmi les sinistres et pitoyables criminels qui, tout au long de l’histoire, ont misérablement essayé de bloquer la marche du monde, avant de se faire piétiner par ce même monde.

Ecris qu’ils m’ont arraché à ma mère Sans saluer la Méditerranée.

Mais qu’à l’heure où l’on m’emmenait aux fers,

Je disais bonjour à un nouveau-né.

Ecris que lorsque se bouclaient mes chaînes Qu’on me ligotait, ce soir tamisé

A cette heure, dans le Djurdjura et nos plaines Cent mille coquilles de moineaux se brisaient.

Tamalt était notre fils à tous. Il aurait pu être le vôtre aussi, si vous étiez de la trempe de Mandela, du vieux Mohamed V, de Ben M’hidi ou de Jefferson. Il aurait suffi de respecter son opinion, ne pas le condamner pour un dessin ou une opinion, tout au moins aurait-il fallu le rendre à sa famille après l’avoir incarcéré quelques mois. Mais non ! Vous vouliez faire expier jusqu’à la mort ce chenapan qui a osé porter atteinte à un prestige que vous n’avez pas. Jusqu’au bout ! Jusqu’à la mort ! Vous avez fait avec Tamalt ce que vous avez fait avec moi : écraser, laisser mourir !

J’ai eu la chance que Tamalt n’a sans doute pas eue : compter sur des soutiens parmi les détenus, le personnel de la prison et, à l’extérieur, parmi des femmes et des hommes que je n’oublierai jamais, des confrères, des patriotes, des avocats, des gens du peuple, ce peuple que vous ne connaissez pas, j’ai eu la chance de m’appuyer sur mes frères, mon épouse, mes enfants, sur des associations et des personnalités internationales...

Rappelez-vous, c’étaient pendant les années où Chakib Khelil transférait l’argent du pétrole algérien vers des comptes en Suisse et dans des comptes off shore. Oui, c’est tout cela qui m’a sauvé la vie. Mohamed Tamalt n’a pas eu cette chance. D’autres temps, d’autres moeurs, d’autres gens. Il en est mort. Mort pour que continue la marche du monde. Un monde qui se rappelera de Tamalt, pas de ses bourreaux

Ecris, ma fille, qu’au clic de la serrure Quand sur moi les portes se refermaient,

Un berger vit une chose de la nature : S’ouvrir une montagne de fleurs parfumées...

Ecris, frère, à quoi bon baisser le front ? Tu seras bien seul à bouder le ciel.

Car, mille bras, je les vois de ma prison, Mille bras se lèvent à l’appel du soleil.

Ecrivez tous, soldats, amants et amantes, Je l’ai su d’une puce sur ma paillasse nue,

L’épine se casse, la mort impuissante...

Sous la plaie, la nuit, la vie continue. »

Mohamed Benchicou

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